Bonjour Kadija, Est-ce que tu pourrais nous présenter en quelques mots le service de l’Entremise ?
Le service de l’Entremise est un service d’entretiens familiaux qui accueille le système familial dans sa globalité ou de manière individuelle. Les accompagnements sont essentiellement orientés par les équipes éducatives ou par le référent social. Ensuite, nous réalisons des entretiens qui durent de 45 minutes à une heure. C’est un service qui travaille sur la question de la relation, de la communication et du conflit intra-familial.
À quand remonte ton arrivée sur le service de l’Entremise et quel a été ton parcours au sein de l’association avant de le rejoindre ?
Je suis arrivée au sein de l’AAES en 1999. J’étais pré-stagiaire au « clair foyer du littoral » où on accueillait les jeunes filles déscolarisées de 13 à 18 ans en semi-autonomie. J’ai été « emploi jeune » en 2000 avec la formation de monitrice-éducatrice puis éducatrice spécialisée. J’ai fait plus de 10 ans en internats avec les ados, et au sein du service de semi-autonomie. Puis je suis arrivée au sein du SAAD de l’Estran en 2011, jusqu’en 2018.
Comment le service a-t-il évolué depuis sa création en 2018 ?
On est parti d’une page blanche, il y avait tout à créer, à commencer par l’orientation qu’on voulait donner au service. Elle s’est faite avec les équipes et les psychologues présents au sein de l’association. C’est à la suite de ces rencontres que les termes « conflit », « communication », « relation » et « lien » ont émergé. Finalement la médiation relationnelle a pris tout son sens avec ma formation de 3 ans et demi pour devenir Thérapeute Familiale.
« Il faut pouvoir chercher les causes antérieures et remettre la parole là où les cris ont pris beaucoup de place »
Quel type de public accompagnes-tu précisément ?
Parfois, entre parents et enfants on ne sait pas se parler. Parfois le conflit est juste l’arbre qui cache la forêt, avec les moyens de communication qui ne sont pas assez travaillés avec la famille. Bien souvent c’est lié. La question de la déloyauté existe quand le couple est séparé. La question du deuil en cas de décès, la question du parent absent dans le quotidien des enfants. Comment le service permet à l’enfant, notamment chez les adolescents, d’en parler afin d’aller chercher ce parent qui se sent parfois à l’écart.
Parfois il est difficile pour un parent d’aller vers son enfant. Et à ce moment-là, on travaille sur l’histoire familiale.
Pendant combien de temps les accompagnes-tu ? Avec quelle régularité ?
C’est aléatoire et toujours en accord avec la famille parce que le service fonctionne sur la libre adhésion des usagers. Cela peut aller de 3-4 entretiens, des fois c’est plus long, parce qu’il faut plus de temps.
Quel est le ressenti général ou majoritaire des familles que tu accompagnes et qui découvrent un service de médiation ?
Il arrive qu’elles aient des a priori avant de venir, mais on le verbalise d’entrée. Je leur explique que cet outil est à leur disposition, ils peuvent s’en saisir ou non aujourd’hui, ou plus tard. Je ne rédige pas d’écrit au magistrat ou à l’équipe, et n’ont donc pas d’inquiétude à ce sujet. Cela fonctionne bien comme ça, ils ne se sentent pas contraints de venir.
Leur avis a-t-il tendance à évoluer au fur et à mesure des réunions ?
La relation se tisse au fur et à mesure des séances. Même si ça s’arrête, parce qu’ils ont une réalité de leur vie, il arrive que des parents m’interpellent, des mois plus tard, pour prendre à nouveau un rendez-vous.
Quels sont les moyens à ta disposition pour apaiser les conflits ? Quels types de réunion ? Quels modes de rencontre privilégies-tu ?
Tout est basé sur la technique d’entretien. La même situation peut être vécue différemment et il faut permettre d’entendre ce que l’autre a pu comprendre ou ressentir. Il faut pouvoir chercher les causes antérieures et remettre la parole là où les cris ont pris beaucoup de place.
Au niveau des supports, je travaille beaucoup avec les figurines pour les enfants, ce qui leur permet d’être moins en relation de duel avec les parents. Ces derniers peuvent ainsi interpréter et voir comment l’enfant vit la situation. Cela permet d’apaiser, de voir où se situe la difficulté et de se rendre compte qu’une autre personne de l’entourage peut être ciblée. J’utilise aussi les jeux de cartes en fonction des familles.
On met aussi en place, en dehors des entretiens, des ateliers parents-enfants / familles / fratries. Quand le conflit est tellement difficile, on reçoit l’enfant seul, pour éviter que la colère s’exprime s’ils sont tous réunis directement.
Les entretiens se déroulent dans un appartement neutre : en quoi cela facilite-t-il l’apaisement des conflits ?
Déjà, cet appartement est excentré de toutes les structures d’accueil mais en même temps il reste très accessible avec les moyens de transport. Pour les familles, il est rassurant, c’est un vrai lieu de vie et il peut se rejouer des scènes du quotidien, sans être figé dans un bureau qui peut vite paraître angoissant. S’il y a un enfant, il peut aussi être en train de jouer pendant que nous sommes en entretien. Ce contexte rend plus favorable l’expression et le contrat de confiance : les familles s’y sentent bien.
A quel moment te dis-tu que la médiation est une réussite sur telle ou telle situation ?
Au premier entretien on met en place les objectifs et on diagnostique leurs besoins, avec une réévaluation à chaque fin de séance pour faire le point. Parfois la famille va me dire « c’est bon, j’ai les outils, j’ai bien compris », parfois c’est moi qui vais faire un bilan qui amène à un arrêt de la situation.
Que se passe-t-il une fois le conflit apaisé ? Y’a-t-il un suivi ?
Le parent peut revenir vers moi par la suite, en cas de besoin. On reste disponible, on assure un suivi après, ne serait-ce que pour avoir des nouvelles.
Avec quels dispositifs de l’AAES travailles-tu ?
Avec les services du Parcours Enfance-Jeunesse : les MECS, le SAAD, le Passavant, le Cabestan, l’Envol. À titre expérimental, on travaille également ensemble avec la Prévention Spécialisée et avec le Service Adultes.
Comment es-tu contactée pour venir en aide à ces familles ?
C’est l’éducateur référent de la situation qui me contacte pour qu’on puisse se rencontrer et aborder la situation, derrière l’accompagnement s’enclenche avec la présence de l’éducateur au premier entretien. Pour certaines familles, je fais leur rencontre directement sur la structure, ce qui rassure la famille puisqu’elle connait la structure et son équipe éducative. Cela leur permet de venir d’abord où ils connaissent pour ensuite aller ailleurs, c’est hyper important pour les parents.
« Le service de l’Entremise ne serait rien sans l’adhésion des familles et sans le travail des équipes, ce travail en transversalité est primordial »
En 2022 le service a totalisé plus de 420 entretiens soit 5 en moyenne par famille C’est en augmentation d’années en années… C’est une belle évolution, comment l’expliquer ?
C’est aussi parce que je suis mobile. Mon premier corps de métier c’est éducatrice et le quotidien peut peser beaucoup. Je m’autorise à aller à la rencontre des équipes sur les structures afin de créer un lien avec eux également. Je peux leur permettre d’avoir une autre lecture de la situation pour qu’ils puissent accompagner la situation différemment. Lorsqu’ils ont une situation compliquée face à eux, ils savent que le service de l’Entremise peut les aider.
Il y a les psychologues qui m’interpellent également, je participe maintenant à certaines réunions pluridisciplinaires où il y a également l’instituteur spécialisé et l’infirmière.
1 demande sur 2 concerne un enfant de 10 à 13 ans, as-tu une explication à cela ?
Un adolescent va forcément être plus expressif, et son mal-être peut-être plus explosif : que ce soit avec des passages à l’acte, par des destructions, par des fugues… Il peut verbaliser que c’est difficile chez lui, ils disent parfois qu’ils ont besoin d’améliorer la situation et de travailler la relation avec leur famille.
Chez les petits c’est plus silencieux, on va davantage s’interroger chez un jeune qui s’agite ou avec un parent qui me questionne. Ce qui peut nous questionner, c’est qu’on accompagne parfois des ados qui sont arrivés très jeunes sur nos unités de petits et on se demande si on pouvait pas aborder cette question-là plus tôt. Il y a un travail à faire chez les petits.
Concernant les adolescents de plus de 17 ans, ils sont accompagnés par l’Envol et il y a des professionnels qui travaillent avec les parents sur ce dispositif. J’ai néanmoins été sollicitée pour deux situations, dans la mesure où mon travail est complémentaire avec le leur. Ce n’est pas parce qu’ils deviennent jeunes adultes que la situation s’apaise.
Professionnellement, qu’est-ce que toutes ces différentes situations t’apportent ? Quel regard as-tu là-dessus ?
C’est à travers le retour que me font les familles. Je pense à une maman qui me dit « Ça m’a permis de me remettre en question », je me dis que j’ai pu l’accompagner de manière juste, et que je suis à la bonne place. C’est ce qu’on sème aujourd’hui qui va permettre aux familles de s’en saisir. Ça me permet aussi de m’améliorer, c’est me permettre de proposer différentes choses à des familles parfois dénigrées. Mais le service de l’Entremise ne serait rien sans l’adhésion des familles et sans le travail des équipes, ce travail en transversalité est primordial.
La gestion des conflits est-elle facilitée par tes années d’expérience au sein du service ?
On peut toujours être surpris par une situation : le conflit vient juste masquer la réelle problématique familiale. L’enfant qui est placé reste le symptôme de la situation. La question c’est plutôt : « Comment on enlève ce symptôme pour donner sens à ce qui va mal dans la famille ? ». Il y a des réunions avec ma cheffe pour chercher des aides si jamais je me sens étriquée dans une situation. Je me crée mes outils pour aussi prendre de la hauteur sur ce qui peut se passer.
D’une famille à l’autre, les situations se ressemblent-elles parfois ?
Chaque situation familiale a son canevas. Il faut savoir s’adapter, c’est eux qui sont acteurs de l’entretien. Des fois ils se rendent compte que la répétition du problème se fait depuis plusieurs générations, par exemple sur la question de la sexualité ou de l’abandon. Cela peut créer des tensions aujourd’hui avec l’enfant parce que le parent n’avait pas accès à cette lecture de « sa place à lui ».